Retour d'Est…


par Gérard VIEUX


Le Kamaz de l'armée russe et ses six-roues motrices en décousent péniblement avec le ruban de poussière qui serpente le long de la Katùn en crue. Le long de la piste, défilent les poteaux des lignes télégraphiques sortis tout droit des westerns de votre enfance. Dérangé par notre intrusion dans son territoire, du bas côté de la piste, un aigle s'envole.

Bons baisers du bout du monde

La présence du club st Hil'air et de 6 de ses membres dans le massif de l'Altaï, au cœur de la Sibérie, est un retour. Déjà en 1991, 2 semaines passées dans l'Oural (voir Vol Libre n° 188) et quelques photos qui circulaient autour d'une table nous avaient révéler l'existence d'un massif montagneux, toujours plus à l'Est, et laisser entrevoir l'immensité de ce pays. Immensité que des années d'isolement forcé, bien au-delà du rideau de fer avaient rendue encore plus inaccessible et mystérieuse.

Certains esprits très cartésiens vous diront que tous les points d'une sphère sont équivalents, et que le bout du monde n'existe pas. Comme si notre bout du monde à nous ne pouvait pas dépasser la géométrie.
Aux frontières de la Chine, de la Mongolie et du Kazakhstan, le massif de l'Altaï possède quelque chose d'indéfinissable qui a toujours frappé l'imagination de ses habitants et des gens qui l'ont traversé.
Allez y voir vous même si vous ne voulez pas me croire !

Grigory Choros-Gurkin, peintre et poète de l'Altaï :
"J'ai l'impression d'assister au premier jour, quand le monde fut érigé! Quand, après les ténèbres, toi, Altaï, fut illuminé pour la première fois par un soleil levant. Comme tes rochers s'enflammaient et comme tes glaciers d'émeraude commençaient à étinceler ! Tout était mêlé en une seule mélodie, en un seul accord interminable... La nature criait... La chanson de Dieu résonnait là et vous remplissait avec la musique du monde. Un grondement de cascades et un son de rivières tempétueuses. Et cette chanson se répandait à travers les montagnes et les odorantes vallées en fleurs.
Bouillonnante, la belle Katùn s'écoulait en battant d'énormes rochers. Les cascades faisaient un bruit peint en arc-en-ciel. Les rochers étaient tissés de fils d'argent!...
Tout est primitif, énorme et majestueux ici...
...Et au milieu de cette nature royale, de ces lacs bleus, de ces forêts profondes, la belle Katùn transporte ses eaux d'émeraude, entaille profonde dans le cœur de l'Altaï. Et il semble qu'il n'y ait aucune puissance qui puisse arrêter son courant, nulle barrière à sa respiration et à sa course effrénée."
"La route délavée par les pluies avait épuisé les chevaux. Nous nous arrêtâmes à Kirlick. Nous devions passer la nuit dans la région qui donna naissance à la légende du Burkhan blanc.
En 1904, une jeune fille eut une vision. Un imposant cavalier sur un destrier blanc lui apparut et lui annonça être le messager du Burkhan blanc dont la venue était proche.
Les gens se réunirent, brûlèrent du Genièvre, et commencèrent à composer des chansons. Et à travers les yourtes dispersées, une légende commença à se propager, qui disait que c'était sur les rives de la Katùn qu'aurait lieu la dernière bataille de l'humanité. Et que par delà une montagne blanche dans le lointain, on pouvait déjà apercevoir la lumière annonciatrice du Burkhan blanc.
Les têtes des narrateurs se tournèrent vers le sud de l'Altaï où s'élevait la plus haute montagne, brillante dans sa parure de neige"...
(Nicolai Roerich, "Altaï - Himalayas", "Le coeur de l'Asie")

Les montagnes dorées

Du haut de ses 4506 m d'altitude, le mont Belukha domine le massif de l'Altaï, ce qui signifie "les montagnes dorées" en mongol.
Le peuplement du massif est très ancien. Des traces datant de l'âge de pierre ont été découvertes dans la capitale actuelle de la république de l'Altaï, Gorno-Altaïsk. Par la suite, de nombreuses nations ont parcouru la région. Dès le 8ème siècle avant J.C., celle-ci était occupée par des tribus mongoles. Déjà à l'époque, des peuples de types asiatique et européen se côtoyaient. A la fin du 3ème siècle, les Huns, ancêtres des turcs, avaient soumis les populations locales.
A partir du 6ème siècle, les anciens turcs dirigèrent l'Asie centrale. Leur empire allait du Caucase à l'Ouest, jusqu'au lac Baïkal au nord et jusqu'à la grande muraille de Chine et au Tibet au sud. Les guerres contre les arabes et les chinois amenèrent l'empire turc à sa chute au milieu du 8ème siècle.
Après un court intermède Kirghize d'une centaine d'années, l'Altaï fit ensuite partie du grand empire mongol de Genghis Khan jusqu'à la fin du 14ème siècle, date à laquelle il obtint son indépendance.
A la fin du 17ème siècle, le peuple de l'Altaï, morceaux par morceaux, commença à passer sous contrôle russe. En 1991, cette région devint la république de l'Altaï, au sein de la fédération de Russie.
Le territoire de la république de l'Altaï est équivalent à celui de pays comme le Portugal où la Hongrie. L'agriculture et l'exploitation des minerais issus de son sous-sol dominent son économie. 200 000 personnes vivent dans la république de l'Altaï, essentiellement des russes blancs et des Altaïques, quelques kazhaks.

Tout est démesuré. Ici, la nature brute est omniprésente. N'importe quelle rivière prend des allures de fleuve.
La rivière Chuya charrie dans ses eaux sombres les minerais de fer, de cuivre et d'aluminium des régions traversées en amont. A sa rencontre avec les eaux claires de la Katùn, les deux rivières s'affrontent. Elles n'accepteront de se mélanger intimement que beaucoup plus loin, comme si aucune des deux ne voulait se laisser dompter. Plus loin en aval, la rivière Byia les rejoindra pour donner naissance à l'Ob, le plus grand fleuve de Sibérie qui traverse presque tout le continent asiatique du sud au nord et coule jusque dans l'océan arctique.
Les faces nord des sommets sont couvertes de forêts, les faces sud sont complètement pelées. C'est vrai chez nous aussi, mais ici, vu d'en vol, le contraste est vraiment saisissant.
Allez y voir vous même si vous ne voulez pas me croire!

Les rapaces - surtout les milans - sont partout, jouant très souvent en couple dans les premiers thermiques du matin, à la verticale de nos campements successifs.
Dans les villages traversés par les routes et les pistes, les maisons de bois en rondins imbriqués les uns dans les autres - souvenez-vous, la "maison forestière" des jeux de votre enfance - sont isolées entre les poutres par des résidus végétaux pour résister aux températures sibériennes pouvant atteindre en hiver 50°C en dessous de zéro. Au fond des jardins, les bains russes, variantes locales des bains turcs.
Ici et là, anachroniques, des statues de Lénine gris métallique qui doivent sans doute à l'éloignement de Moscou de ne pas avoir été déboulonnées par l'Histoire, se rappellent un passé pas si lointain.

"Vous avez changé notre vision du vol"

Tout n'est pas rose dans la Russie d'aujourd'hui. Nous n'aurons vu que la partie émergée de l'iceberg. Ceux de nos amis russes qui avaient un véhicule avaient également une arme dans la boîte à gants. On ne sait jamais! A méditer!
Les russes sont surprenants : Actifs quand il leur faut l'être pour assurer la logistique et monter le campement. Disciplinés, avec un esprit de groupe très développé, voire très hiérarchisé. Mais également très sensibles au rêve et à la méditation, se tenant isolés, à l'écart quand le temps leur en laisse le loisir.
Leonid : "Vous avez changé notre vision du vol". Le parapente en Russie n'en est encore qu'à ses débuts. A Igor, désespéré de voir la différence de niveau de pilotage, il fût répondu que sa chance était d'avoir commencé à voler à 20 ans. Et qu'à 30, son vécu serait autrement supérieur au nôtre au même âge. L'important est qu'ils puissent continuer à côtoyer des libéristes de toutes origines. (Ceci est un appel!)
Les parapentistes sont moins bien organisés que les deltistes (of course !). Depuis 1990, leur nombre a augmenté et s'est maintenant stabilisé. La moitié sont d'anciens deltistes.
Les types de pratique du vol sont différents, les deltistes volent plus en groupe.
La fédération russe comptait quelques 10000 licenciés en 1990. Ses effectifs ont grandement chuté depuis. Disposant de très peu de moyens depuis la chute du régime en 1991, elle n'apporte plus grand chose à la majorité de ses pratiquants, seulement à quelques privilégiés. Il est difficile de financer quelque projet que ce soit.

L'émergence de l' "Altaï association of hangliding and paragliding" - qui nous accueillait - et dont l'influence dépasse maintenant largement le secteur géographique de l'Altaï correspond à un désir de ses membres de prendre leur destin en mains.

Impressions d'Asie

Au moment de notre départ, la buée dans les yeux de Yula leur donnait des reflets d'ambre et de lumière. Le lendemain, sur l'aéroport de Barnaoul, le ciel pleurait aussi. Jusqu'à l'intérieur du minibus à travers le pare-brise fendillé.
Une fois encore et 5 ans après, nous avions été plus forts que le destin. Ce destin, malin, qui nous fit naître et voler sur des sites si éloignés les uns des autres. Et qui n'aurait jamais dû nous faire nous rencontrer.
Les semaines avaient passé. Que restait-il de l'Altaï ? Quelques vols à Castejon de Sos, Ager ou St Hilaire du Touvet avaient essayé de le recouvrir de strates et d'en effacer le souvenir. Comme dans un tableau impressionniste, l'impression générale persistait. Mais les détails étaient un peu moins définis, un peu plus flous. A tel point que l'on pouvait presque s'interroger sur leur réalité et se demander si, comme pour certains termes mêmes de ce récit, tout cela n'était pas que le produit de notre imaginaire.
Quelques semaines plus tard l'arrivée de Vladimir Mitin et de deux de ses camarades à la Coupe Icare nous rassurait que notre rêve éveillé avait vraiment existé.
Que la Katùn coulait toujours dans le cœur de l'Altaï, que la Chuya, présomptueuse, lui disputait toujours la source de l'Ob, que l'on attendait toujours la venue de Burkhan au delà du Belukha.
Et que les statues de Lénine solidement prises dans la terre de Sibérie veillaient maintenant et à jamais sur le destin de l'Altaï et des montagnes d'or.
Allez y voir vous même si vous ne me croyez pas encore !

l' "Altaï Association of Hangliding and Paragliding "
par Vladimir Mitin (trad. Manuèle Jargot)

Avant 1991, le vol libre en delta et en parapente (lequel commençait tout juste à se développer) était financé par le ministère de la Défense, par l'intermédiaire de la DOSAAF (1).
Les principales compétitions se déroulaient dans les républiques d'Asie Centrales et du Caucase, et on ignorait superbement les montagnes de l'Altaï, au sud de la Sibérie occidentale. Pourtant, les deltistes de l'Altaï tenaient constamment informée leur Fédération nationale des endroits de l'Altaï où on pouvait faire de beaux vols. Faute d'obtenir le soutien de la Fédération, les deltistes de l'Altaï furent obligés de créer, le 22 janvier 93, leur Association Altaïque de delta et parapente, qui se mit à rechercher de nouveaux sites dans le massif et à organiser des compétitions.
L'une des principales compétitions organisées par l'Association est la "Coupe internationale de l'Altaï", qui se déroule à l'intérieur du massif, à Ongudaï. Des libéristes français, allemands, australiens et japonais y ont déjà participé.
La création de l'Association a eu lieu au moment de l'éclatement de l'URSS, moment où la Fédération a presque complètement cessé de financer le delta et le parapente et où les principaux sites se sont retrouvés à l'étranger (2). C'est alors qu'on s'est souvenu de Ongudaï. Aujourd'hui, c'est là qu'ont lieu les principales compétitions de delta.
Aujourd'hui, l'Association Altaïque envoie elle-même ses compétiteurs à l'étranger, sans passer par la Fédération nationale, car elle considère que malgré la perestroïka et les changements politiques et financiers, la Fédération n'a pas révisé ses positions.
Cette année, du 16 au 30 Juin, la compétition internationale de la "Coupe de l'Altaï" réunira pour la première fois deltistes et parapentistes.

(1) Organisation regroupant l'armée, l'aviation et la marine et prenant en charge de nombreuses activités sportives. (NDT)
(2) c'est-à-dire dans les ex-républiques de l'URSS, devenues les Etats indépendants de la CEI. (NDT)

Avec 1/4 de sang russe, ukrainien, polonais et tzigane, notre hôte avoue ne pas toujours trop savoir d'où il vient!
Animateur de profession, il vole en delta depuis 1988. Il est président du club de Barnaoul depuis 1989. Il fût le premier parapentiste de cette ville en 1991. Le club de Barnaoul, dont était issue la majorité des gens que nous avons rencontrés est fort de 45 membres, deltistes et parapentistes confondus.
Vladimir est également président de l'organe régional de la fédération russe, qui gère le delta, le parapente et l'ULM.
Il importe pour la Sibérie les voiles Aeros (ukrainiennes), Paraavis (russes) et Apco.
Il enseigne le parapente à de jeunes pilotes à partir de 9 ans. Des compétitions existent pour ce public, vols de durée et précisions d'atterrissage.
Il a créé l' "Altaï Association of Hangliding and Paragliding " dont il est également le président.


Altaï et vol libre

La Sibérie a un climat continental ! -50°C en hiver, 40°C en été ! Il est conseillé de choisir sa période de séjour en conséquence ! D'octobre à mars, on reste à St Hilaire,... ou ailleurs ! Avril est correct, mais le mois de mai est moyen, à cause des précipitations. Juin est la meilleure période. Juillet à peu près bon. En août, il pleut. Septembre est bon.
Inutile de décrire un topo détaillé des sites! On n'arrive pas dans l'Altaï par hasard et en général, pas tout seuls! Il est évidemment nécessaire de connaître des gens. Les accès sont particuliers, on accède aux décollages à pied ou en six-roues motrices.

Dans les premiers contreforts de l'Altaï quand on arrive de Barnaoul par le nord, les sites de Osipava Sopka, Niegodaka et Vereskovaïa permettent d'aborder l'Altaï progressivement.
Dans le massif même de l'Altaï, Ongudaï, au milieu de ses montagnes Bonsaï et au bord de la rivière Ursul, est le site majeur. C'est le lieu des compétitions organisées dans l'Altaï. Des allers-retours de 150 km ont déjà été réalisés en delta. Un jour en parapente....

20 km plus au sud, nous avons ouvert le site de Tcheki Taman ! Qui aurait pu nous servir de point de contournement au départ de Ongudaï, lors de notre dernier jour de vol si les conditions avaient été un tout petit peu meilleures.

Kosh Agach , le long de la rivière Chuya est le point le plus extrême de notre voyage en direction de la frontière mongole. C'est un plateau situé à 2000 m d'altitude qui est entouré de sommets enneigés à 3000. Derrière la chaîne de montagne située devant nous, la Chine...
Les décollages sont situés sur les faces sud, à 2500 m d'altitude.

Ust Koksa et Tyungur sont situées le long de la Katùn, au pied du massif du Belukha. Accès par Kamaz puis randonnée pédestre, pour des vols type moyenne montagne, survol des villages, récupération par charrette à cheval!




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